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Anniversaire - Page 13

  • 23 Août 1997 : Journée international sur l'esclavage

    Un mal endémique


    Il y a vingt-et-un ans exactement que l'Unesco a proclamé ce jour comme étant la "Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition". Qui s'en souvient encore ?

     

    Esclavage.jpgIl s'agissait d'empêcher l'oubli et de rappeler, selon les termes de Koïchiro Matsuura, alors directeur de cet organisme, qu'elle fut "une tragédie longtemps occultée ou méconnue et de lui restituer la place qui doit être la sienne dans la conscience des hommes". En effet, comment oublier cette redoutable marchandisation des êtres humains ? Celle-ci a permis l'essor industriel des grandes nations européennes et américaines, construites avec ce principe de servitude et son corollaire : une source d'énergie importante et puissante qu'elle générait pour leur économie. Conquête, asservissement, rapine forment la triade infernale de ce système détestable.

     

    Le revers de ce drame planétaire se traduit, encore aujourd'hui, par une déstructuration complète de nombreux pays, notamment en Afrique de l'Ouest et de ses zones subsahéliennes où étaient concentrés l'un des principaux approvisionnements en esclaves. Cela eut pour conséquence d'opérer sur le long terme un laminage démographique et économique de ces zones, expliquant – du moins partiellement encore - leur sous-développement.

     

    A l'occasion de la conférence de Durban (Afrique du Sud), en septembre 2001, les pays colonialistes refusèrent de présenter leurs excuses. Néanmoins, les 170 États présents sont parvenus à un accord consensuel minimal : ils n'admettent que les réparations historiques et ...morales, autrement dit rien. Ce devoir de réparation de la mémoire et de prise de conscience historique ne changent rien à l'affaire. Les vrais problèmes subsistent et continuent de régir les relations nord-sud. Comment faire semblant et s'étonner que ce devoir de mémoire disparaît, en particulier lors de chaque arrivage de clandestins sur les cotes de l'Europe ou, comme aux États-Unis, aux frontières de leurs pays ?

     

    Bien sûr, nous savons tous à qui nous devons la puissance de nos pays respectifs. Et nous sommes effarés par le cynisme et la violence générées par nos sociétés et ses dirigeants auprès des migrants comme auprès de ce monde de nos banlieues, victime lui aussi de l'insociabilité à forts relents colonialistes. Élie Reclus (le frère d’Élisée) écrivait déjà en 1894 : "Il n'est pas encore tout à fait mort, le pauvre Nègre, mais il ne traînera plus longtemps. Il est tombé sous les coups d'une civilisation dont les campagnes, dites pacifiques, sont plus meurtrières que ne fut jamais guerre entre sauvages"*. Ces propos font toujours aussi froids dans le dos et nous éloignent de cette société qui – contrepartie oblige - dispense une charité et une bonne conscience très sélective, alors que rien ne bouge vraiment.

     

    Ne sommes-nous pas en droit de nous poser cette question : a-t-on encore le droit de fêter cette pseudo Journée internationale du souvenir ?

     

    * In Le primitif d'Australie.

  • Maria Deraismes - 17 août 1828 : Naissance d'une femme exceptionnelle

    En plus de deux mille ans de culture hypersexualisée et humiliante pour la gent féminine, peu nombreuses sont les femmes dont on condescend à accorder la postérité. Maria Deraismes, comme Olympe de Gouges et Louise Michel pour ne citer que ces deux grandes égéries, reste l'une de ces femmes qu'il serait légitime de mettre au Panthéon des bienfaiteurs et bienfaitrices de l'Humanité.

     

    Deraismes Statue.jpgComment les nier ? Ses origines bourgeoises sont bien là et jamais nous la verrons monter sur les barricades durant les grands chambardements de son époque : 1848 et 1871. Malgré tout, cela ne l'empêchera pas d'aider des membres de la Commune de Paris et, selon son expression, à leur "tendre la main". Dans "La franc-maçonnerie et l'émancipation des femmes", Eliane Brault, membre du Droit Humain puis fondatrice de la Grande Loge Mixte Universelle, la cite fort à propos(1) : "Les résultats des révolutions ne sont pas proportionnels aux sacrifices consentis et l'effort ne profite pas à ceux qui en sont les artisans. En politique, les crises violentes servent surtout ceux qui observent de l'extérieur et ne s'y mêlent qu'au dénouement". Propos troublant car, si l'on prend à la lettre ce point de vue, autant considérer que toute révolte populaire est vouée à l'échec ! Mais, malgré la sympathie que nous avons pour cette femme, constatons-en les limites : nous buttons sur un fatalisme caractéristique de son statut social.

     

    Féministe, elle interviendra et se battra constamment pour que la femme devienne égale à l'homme. Maria Deraismes, participa à la création d'associations féministes. En 1869, déjà journaliste, elle fonde avec le libre penseur Léon Richer l'hebdomadaire Droit des femmes qui deviendra peu après L'Avenir des femmes.

     

    Libre penseuse elle-même, elle présidera aux destinées de cette association dans l'ex-Seine-et-Oise. Avec Victor Poupin (l'un des fondateurs de la Ligue de l'Enseignement) ainsi que l'abolitionniste Victor Schoelcher, en 1881, elle va organiser le premier congrès anticlérical. Durant celui-ci, on parle déjà de la séparation des églises et de l'État, des problèmes liés à l'éducation, aux fêtes laïques, à l'organisation des services hospitalier et d'assistance, etc. Maria soumet au congrès une motion qu'il adoptera : "Le congrès émet le vœu que les hommes et surtout les libres penseurs, fassent de leurs femmes leurs compagnes dans leurs réunions, cercles, comices, travaillent à les faire reconnaître légalement comme leurs égales". La question mérite d'être posée : où en sommes-nous encore aujourd'hui ?

     

    Deraismes initiee.jpgFranc-maçonne, le 14 janvier 1882 les frères de la Loge Les Libres Penseurs du Pecq (Yvelines) l'intègre comme une sœur à part entière. Première femme a entrer dans ce cercle encore très fermé. Comme par hasard, y adhère un certain frère : Léon Richer... C'est sans doute ce "plus" maçonnique qui la fait entrer dans la grande histoire de l'Humanité. Durant cette cérémonie, le vénérable de cette loge, le frère Hougar, prononça ses quelques mots : "En initiant une femme à nos mystères, nous voulons proclamer l’égalité des deux êtres humains qui concourent physiquement à la propagation de notre espèce... Nous sommes pénétrés de cette idée que l’état normal de la société ne peut s’améliorer effectivement sans le concours de la femme, première éducatrice de l’enfant et que détruire chez elle les préjugés, en les combattant par la lumière maçonnique, c’est préparer pacifiquement la véritable émancipation sociale". En réponse, la sœur Maria affirme que ses frères ont "rompu avec les vieilles traditions consacrées par l’ignorance. Vous avez eu le courage d’affronter les rigueurs de l’orthodoxie maçonnique... Vous êtes aujourd’hui considérés comme des hérétiques, parce que vous êtes des réformateurs : mais comme partout la nécessité des réformes s’impose, vous ne tarderez pas à triompher". Cent-vingt huit ans après ce coup de tonnerre dans un temple de la pensée philosophique, force est de constater que le triomphe espéré n'a pas été (ou très partiellement) au rendez-vous de la franc-maçonnerie contemporaine. Toutefois, cela ne l'empêchera pas, avec l'aide de quelques frères, de créer la première loge mixte. Et, onze ans après son initiation, en 1893 elle fonde l'association : la "Grande Loge Symbolique Écossaise Mixte de France", appellation qui, en 1901, se transformera en Ordre maçonnique mixte international "Le Droit Humain"(1).

     

    Elle décédera dans sa soixante-sixième année après avoir bien œuvré pour le genre humain et la mixité en particulier. Au cœur de ses préoccupations nous retrouvons toujours une démarche en faveur de la liberté de penser, pour l'égalité entre tous les êtres humains et pour le développement de la fraternité universelle. C'est évident : son travail n'est nullement achevé. A chacun et à chacune de le poursuivre afin qu'un jour il puisse aboutir.

    Maria Deraismes, c'est avant tout et à sa façon : une vie, un combat et un exemple comme nous voudrions qu'il en existe tant pour que le monde change.

     

    1) Lorsque cette obédience prend - huit ans après sa création - la décision de changer de nom, deux loges s'en séparent et se constituent en une nouvelle entité qui gardera le nom de Grande Loge Symbolique Écossaise "maintenue et mixte". La sœur Louise Michel, pourtant amie de Maria Deraimes, sera initiée dans cette obédience "maintenue" en 1903.

  • Etienne Dolet : 3 août 1509 : Hommage à un martyr de la pensée

    En ce jour, saluons cet homme au moins pour trois raisons.

     

    La première concerne son érudition. Dolet fut un personnage dynamique et emblématique de la renaissance intellectuelle en France. Bien que d'origine pauvre, il doit à de puissants protecteurs la possibilité d'entreprendre des études à Paris, ensuite en Italie, puis enfin à Toulouse où il y étudie le droit. Mais très vite, son esprit libre et critique - que certains cataloguèrent de luthérien - lui attire de nombreux opposants qui se transformeront en de véritables ennemis. Face à des étudiants toulousains il cherche, en vain, à y mettre un terme : "Il suffit, dit-il,de jeter quelque éclat dans le monde des lettres pour être suspect". Étudiant le grec ou l'hébreu, cela était suffisant pour être suspecté d'hérésie. Mais cela lui permit de constater l'existence d'autres religions que chrétienne et, donc, de développer son scepticisme. Dans un Toulouse et son parlement dominé par une ambiance très catholique, cela ne peut en conduire plus d'un au bûcher. Cette cruauté l'irrite au plus haut point. A cette occasion il affirmera son doute : "Devrait-on fermer le chemin du repentir ?" Il quitte cette ville pour se réfugier d'abord à Lyon où il fera imprimer deux de ses discours, puis, à la suite d'une échauffourée, il s'en va à Paris. Il y fait imprimer deux ouvrages (Commentaires de la langue latine). Néanmoins, les polémiques le poursuivent, se développent au point tel qu'il sera obligé de solliciter sa grâce auprès de François Ier qui le lui accordera. Ce sera l'occasion d'un banquet en son honneur organisé par une grande partie de l'intelligentsia parisienne, dont ses amis Clément Marot et Rabelais.

     

    Etienne Dolet, martyrCette grâce nous amène à la seconde raison de le saluer. Raison plus professionnelle que nous apprécions personnellement en raison d'une certaine synonymie. Il se décide de retourner à Lyon où, là, il sera jeté en prison. Il n'en ressort qu’après plusieurs requêtes du cardinal de Tournon. Une fois libéré, il obtient le privilège d'imprimeur qui va lui permettre de poursuivre ses travaux d'écriture et de travailler "pour mestre et rédiger par escript quelques œuvres par lui inventez et composer, et aussi pour amender et corriger à l'imprimerie aucuns livres utiles qui en avoient besoin..." Par ce labeur, il sortira des "livres nouveaulx, livres vielx et antiques" qu'il vendait très bien d'ailleurs. Mais la production et la prospérité de son affaire ne plaisaient guère à ses confrères lyonnais. Ceux-ci le dénonceront comme hérétique. Après bien des aléas et peines d'emprisonnement, il sortira de la griffe de la « sainte » inquisition. Mais ses ennemis continueront le harcèlement l'obligeant à partir dans le Piémont. Revenant ensuite et très discrètement à Lyon, il y est à nouveau dénoncé et arrêté. Il est conduit à Paris, enfermé deux ans durant, dans l'attente de son procès, dans la prison de la Conciergerie. Déféré à l'isolement dans la Faculté de Paris, on le déclare comme hérétique, accusé des crimes d'impiété, d'athéisme et d'épicurisme. La suite vous est connue et particulièrement sinistre. Le 2 août 1946, arrêt de la Cour : pendaison et mort brûlé vif avec ses livres dès le lendemain, le 3 août 1546.

     

    Enfin, nous en finirons par cette troisième et dernière raison, assez étonnante d'ailleurs. Jour pour jour, trente-sept pile après sa naissance il succombe face à la tyrannie et l'intolérance catholique. Pourtant, jamais il ne l'a apostasié. Mais ses nombreux ennemis et ses inquisiteurs n'acceptèrent pas cet esprit sceptique et hétérodoxe le poussant vers ce refus d'un catéchisme d'où qu'il vienne. Renaissance, Réforme et ce roi François Ier, surnommé le "Père des Lettres", ne purent changer cette issue dramatique et fatale.

     

    En ce 3 août 1546, en place Maubert* à Paris, le bûcher attend le condamné. Toujours nombreuse pour l'occasion, la foule assiste à cette scène monstrueuse. Une fois de plus - et ce ne sera pas la dernière – l’Église fait le ménage auprès de toux ceux qu'elle considère comme opposants au dogme. Laissons à notre persécuté pour ses idées ce dernier jeu de mots qu'on s'accorde à lui prêter : "Non dolet ipse Dolet, sed pia turba dolet". Autrement dit : "Ce n'est pas Dolet qui s'afflige, mais la foule généreuse". J'ai comme un ressenti qui, ici ou là, reste malheureusement d'une douloureuse actualité…

     

    *En 1889, une statue y sera installée. Manifestation de la Libre-Pensée (1914).