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Anniversaire - Page 11

  • 9 décembre 1842 : Pierre Kropotkine

    Autour d'une vie* certaines personnalités apposent leurs marques de façon indélébile. Pierre Alexeïevitch Kropotkine (9 décembre 1842 - 13 février 1921) appartient à cette catégorie-là.

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    Il aura eu un parcours extraordinaire. Oublions l'individu en tant que tel et ses origines princières, de même pour l'explorateur, le géographe qu'il fut ainsi que de toutes autres compétences relevant généralement des sciences de la Terre. Ne gardons que ses premières rencontres avec Michel Bakounine et des membres de la Fédération jurassienne. Elles furent autant d'éléments déclencheurs qui favoriseront et développeront son durable engagement libertaire. Dès son retour en Russie, il participe à ce courant d'une partie de la jeunesse désireuse d"aller au peuple" en vue de provoquer une révolution sociale au sein de ce régime impérial despotique. Ce fut alors une longue succession de condamnations, d'emprisonnements et d'exils, en bref, celle d'un combat social qu'il ne quittera plus.

    Il deviendra progressivement une figure marquante et représentative du courant révolutionnaire durant cette période charnière et difficile de bascule entre deux siècles. Notre homme se trouve impliqué, en 1883, dans le "procès des 66" : soixante-six libertaires jugés et inculpés pour leur appartenance à l'Association Internationale des Travailleurs. Une association qui inquiétait dangereusement le système en place car ce dernier lui fera porter tout le poids de la rébellion ouvrière et populaire contre le pouvoir. Dans ce contexte, Kropotkine écope d'une peine de cinq ans d'emprisonnement qui, trois ans plus tard, se traduira par une amnistie.

    Cela n'empêcha nullement notre savant militant de poursuivre son travail de propagandiste anarchiste. En 1879, il fonde le journal Le Révolté. Il est également l'auteur de fascicules très prisés dans les milieux populaires, de multiples brochures et de livres dont nous ne citerons que deux de ceux-ci : La conquête du pain et L'Entraide. Je les considère - peut-être avec un troisième : L’Éthique - comme les plus significatifs pour comprendre sa démarche. Si on n'y regarde de plus près, sa pensée révèle à la fois de la limpidité et de la complexité. Par exemple, L'Entraide reste un formidable plaidoyer sur les chaînes de solidarité qui s'établissent parmi les espèces. Quand il publie cet ouvrage, les controverses vont bon train sur l’Origine des espèces de Charles Darwin. Kropotkine considérait pourtant que cette approche darwinienne "révolutionnait toutes les sciences biologiques"*. Sans la remettre fondamentalement en cause, comme beaucoup le faisait, ni s'opposer frontalement à cette nouvelle théorie, il considère utile de la nuancer et c'est ainsi qu'il propose l'entraide comme le facteur déterminant et principal régissant nos sociétés. Par cet écrit inspirant, nous entrons de plein pied dans les débats scientifiques de l'époque. Nous voyons aussi quels sont les principes fondamentaux qui agitent sa pensée et qui donnent un sens à son choix en faveur d'une organisation sociale collectiviste, c'est-à-dire du communisme libertaire dont il en fut l'initiateur.

    Ce double travail de recherche et d'action, tout comme celui d’Élisée Reclus qu'il fréquenta ainsi que de nombreuses figures du mouvement de l'époque : Louise Michel, Emile Pouget pour ne citer que ces trois-là, favorisa son audience et probablement l'amplifiera auprès des milieux anarchistes. Mais comment oublier que ces années 1890 résonnent par les attentats et par une pratique dite de reprise individuelle avec ces personnages qui feront la "une" de l'actualité ? Une répression terrible s'abat sur les anarchistes, vrais ou supposés comme tels. Cela n'entache pas la détermination de notre homme pour rejeter, intellectuellement parlant, ceux qui s'adonnent à de tels actes. Daniel Guérin** en parle ainsi : "Kropotkine, un des premiers, eut le mérite de faire son mea culpa et de reconnaître la stérilité de la propagande par le fait".

    Durant le Première guerre mondiale, il rencontre Jean Grave et signe avec lui et d'autres, en 1916, le Manifeste des seize . Cet appel de quelques libertaires contre cette terrible guerre a été considéré comme un soutien indirect à l'union sacrée qui rassemblait la plupart des forces politiques et religieuses du pays. Erreur ? Peut-être. En tous les cas, cela aura été l'occasion de créer un clivage supplémentaire au sein de ce mouvement, en le fractionnant un peu plus.

    En 1917, il part discrètement en Russie. Sa renommée y est très forte, au point où Lénine se sentira obligé de lui proposer un poste ministériel, ce qu'il refusa catégoriquement. Jusqu'à la fin de sa vie, il n'aura de cesse de dénoncer le bolchevisme et la dictature qui commençait à s'y installer. Quatre ans plus tard, il décédera là-bas, à proximité de Moscou. Ce fut l'occasion d'un enterrement important et populaire, la toute dernière grande manifestation libre et de masse que connaîtra ce pays.

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    * Autour d'une vie de P. Kroptkine. Titre d'un ouvrage autobiographique (1re édition, Stock 1898).

    ** In Daniel Guérin : L'Anarchisme (Gallimard 1965).

     

  • 7 novembre 1913 : Albert Camus, le début d'une saga

    Nonobstant ses dispositions littéraires, Albert Camus aura été un grand dissident. Cela le conduira à devenir un résistant lors du deuxième conflit mondial et, également, à l'amener à un journalisme plus que jamais engagé.

     

    jean-paul sartre, parti communiste, guerre d'espagne, l'homme révolté, le mythe de sisyphe, la pensée de midi, louis lecoinEn 1935, il adhéra au Parti communiste algérien. Sa posture antifasciste, en particulier à l'occasion de la Guerre d'Espagne, déjà empreinte d'une démarche libertaire, lui fait quitter assez rapidement, mais définitivement, ce parti. On peut ainsi comprendre pourquoi l'écrivain ne s'est pas fait que des amis car l'intelligentsia française d'alors balançait entre deux courants culturels principaux dont un, sans doute le plus influent, était dominé par l'idéologie marxiste, à commencer par l'un de ses plus dignes représentants : Jean-Paul Sartre. Restons-en là car il s'agit d'une toute autre et longue histoire...

     

    Après cette période de frottement avec le parti communiste, c'est en 1951 qu'il publie L'homme révolté. Cela ne fait aucun doute pour lui : "le marxisme, sous un de ses aspects, est une doctrine de culpabilité quant à l'homme, d'innocence quant à l'histoire". Dans cette courte phrase se trouve contenue à la fois sa non justification de ce qui fera la force provisoire du régime marxiste et son regard sur la vraie nature du matérialisme historique.

     

    Avec ses principes chevillés au corps, dont celle concernant ses positions antifascistes, Camus démissionne de l'Unesco en 1956 car il protestait contre l'admission de l’État franquiste au sein de cette instance internationale. Cela d'ailleurs le conduisit sept ans plus tard à participer au Comité de soutien créé pour l'obtention du droit à l'objection de conscience animé par Louis Lecoin. Il semble difficile de ne pas mettre en résonance ces mots terribles de l'écrivain lorsqu'il écrit dans La Pensée de Midi : "Qu’un seul maître soit, en effet, tué, et le révolté, d’une certaine manière, n’est plus autorisé à dire à la communauté des hommes dont il tirait pourtant sa justification. Si ce monde n’a pas de sens supérieur, si l’homme n’a que l’homme pour répondant, il suffit qu’un homme retranche un seul être de la société des vivants pour s’en exclure lui-même".

     

    Même si il reste l'un de mes auteurs fétiches et que son œuvre a fait l'objet de quatre tomes dans La Pléiade, celle-ci reste bien trop vaste pour que nous la commentions ici en quelques lignes. Il ne lui a pas suffi de nous expliquer l'absurde et la révolte, il nous donne également sa solution que ne saurait renier les anarcho-syndicalistes et, plus encore, le syndicalisme révolutionnaire qui fut si cher à ses aspirations : "Le syndicalisme comme la commune, est la négation au profit du réel du centralisme bureaucratique et abstrait. La révolution du vingtième siècle au contraire, prétend s'appuyer sur l'économie mais elle est d'abord une politique et une idéologie. Elle ne peut, par fonction, éviter la terreur et la violence faite au réel". On comprend que cela puisse gêner, mais c'était aussi cela Albert Camus.

     

    A 47 ans et un 4 janvier 1960, alors que l'après-midi commence à peine, il disparaît malheureusement. La voiture de l'éditeur Michel Gallimard qui le ramenait vers Paris fait subitement une embardée à la hauteur de Villeblevin, un petit village en limite des départements de l'Yonne et de la Seine-et-Marne. Elle s'écrase contre un des arbres bordant la Nationale 6 et, sous le choc, l'auteur du Mythe de Sisyphe décède. Triste hasard car, dans cette voiture les secouristes retrouvèrent son dernier manuscrit, en cours d'écriture, portant ce titre : Le premier homme !..

  • 22 octobre 1921 : Bonjour Brassens !

    Sète, une ville où jamais un vacancier n'a été enterré sur la plage* et"Tonton Georges" fit ses premiers pas, comme ses 400 coups. Depuis, même si l'immigration méditerranéenne qui règne de nos jours pouvait changer cette donne, offrant à ce fameux Cimetière marin cher à Paul Valéry une utilité urgentiste catastrophique, que de chemins parcourus par cet autre poète sétois de renom. Y penser nous donne le tournis.

     

    Bien des panégyriques argumentent des qualités exceptionnelles et particulières du chanteur-compositeur. Plus modestement, attachons-nous à entrevoir l'homme engagé qu'il fut.

     

    Derrière l'aspect timide et quelque peu pataud se cachant derrière ce personnage publique, se tapit un autre individu, celui qui dénonçait l'injustice et qui troussait les stupidités métaphysiques, en particulier religieuses. Les gendarmes de la pensée n'avaient qu'à bien se tenir et éviter de "poser leurs pattes dessus"**. Cela alimentait sa révolte profonde et lui donnait l'occasion d'ajouter ces mots aigre-doux, souvent acides, qui nous plaisaient tant dans ses chansons. Prises une à une, celles-ci constituent de vrais petites merveilles qui restent l'objet de nombreuses études dans des cours d'art poétique.

     

    Contrairement à tous ces flonflons académiques et petits-bougeois qu'il a régulièrement fuis, l'homme et le poète portait en lui cette âme rebelle et inclassable. D'ailleurs, comment s'étonner qu'au cours de sa vie, ses affinités l'amenèrent à devenir le secrétaire d'un groupe anarchiste parisien et – surtout - le secrétaire de rédaction du journal Le Libertaire. Il s'y employa deux années durant, rédigeant de petits articles - ce qu'on appelle souvent des "bouches-trous" - qu'il signait sous des pseudonymes différents, sans doute révélateurs de son caractère ou de son humour comme celui, par exemple, de Charles Malpayé. Dans ce mouvement en reconstruction, issu de la Seconde guerre mondiale, il dut être, en effet, très mal rémunéré…

     

    Georges Brassens, Maurice Joyeux, Suzy Chevet, Fédération anarchiste, Groupe libertaire Louise Michel, Le Libertaire, Pierre Jouventin, revue EgoJamais, il n'oubliera ses racines philosophiques et, bien sûr, les amitiés qu'il noua avec différentes personnalités libertaires. Parvenu à la cinquantaine, il écrivit dans Ego (avril 1970), une revue d'inspiration individualiste éditée par Pierre Jouventin, qu'elle était, pour lui, sa conception de l'anarchisme individualiste : "C’est pour moi une philosophie et une morale dont je me rapproche le plus possible dans la vie de tous les jours, j’essaie de tendre vers l’idéal. L’anarchisme, ce n’est pas seulement de la révolte, c’est plutôt un amour des hommes. La révolte n’est pas suffisante, ça peut mener à n’importe quoi, au fascisme même." Comment être plus clair ! Ce n'est pas la peine de chercher plus loin pour retrouver, dans chacune de ses chansons, cette imprégnation que d'aucuns classifient d'inclassable pour mieux éviter de l'appeler libertaire.

     

    Après ses deux ans d'activités au sein de cette jeune Fédération anarchiste, il la quitte pour s'envoler vers ce difficile parcours menant ...de la mauvaise herbe à la bonne réputation. Pas facile car son chemin sera semé d'embûches et de galères de toutes sortes. Ce faisant, jamais il n'oublia ses amis. Par esprit de fidélité, il les aida en participant à plusieurs galas, tant de la Fédération que du Groupe libertaire Louise Michel, avec lequel il possédait de forts liens d'amitié particulièrement avec Maurice Joyeux et sa compagne Suzy Chevet.

     

    Georges Brassens, Maurice Joyeux, Suzy Chevet, Fédération anarchiste, Groupe libertaire Louise Michel, Le Libertaire, Pierre Jouventin, revue EgoSa présence dans nos fêtes attirait les sympathisants en nombre. Quelques temps avant son gala (octobre 1972) fait avec Léo Ferré contre la peine de mort, je me souviens d'avoir accompagner Suzy chez lui afin de lui proposer de se produire à un gala de soutien. Cette rencontre se fit non sans peine car Gibraltar, son secrétaire de longue date, contrôlait rigoureusement les accès afin de réduire les multiples perturbations occasionnées. Après avoir donc passé le joug de son indéfectible cerbère, à la timidité naturelle de Brassens s'ajoutait la mienne, bien plus grande encore, devant celui qui était pour moi ce monstre artistique dont je fredonnais souvent ses chansons. Cet entretien permit d'échanger sur quelques-unes de nos activités respectives. Bien que sa disponibilité à se produire pour le mouvement était bien qu'acquise, il arrivait qu'elle bute sur ses propres engagements rendant quelquefois difficiles sa présence le moment voulu par notre propre calendrier.

     

    Bref, Georges restera pour nous ce fraternel camarade à l'image de son personnage qui respirait la bonhomie. Au-delà la magie des mots, ces textes nous rappellent l'homme, tout simplement. Depuis sa disparition, je constate que chacune de ses interprétations ne saurait éteindre notre émotion à son égard. Ne voulant pas – chantait-il - que son nom figure au bas d'un parchemin, je ne suis pas sûr du tout qu'il aurait souhaité que celui-ci orne quelque lieu public, fut-il celui d'une école. Pas même à titre de revanche...

     

     

    * Supplique pour être enterré à la plage de Sète : "...Vous envierez un peu l'éternel estivant, / Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant, / Qui passe sa mort en vacances…".

    ** Celui qui a mal tourné.