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Anniversaire - Page 12

  • 5 octobre : Diderot et Varlin, deux personnages hors normes. Tous deux nés ce jour.

    Denis Diderot, Langres un certain 5 octobre 1713...

    Diderot D..jpgJ'adore son "parcours" d'homme. Fils d'artisan coutelier, ses parents le destinaient au séminaire. En réalité, il monta à Paris afin d'y gagner sa vie en donnant des leçons et en traduisant des auteurs anglais, en particulier. Il épousa une lingère (beurq ! voici le type d'information à masquer dans un curriculum vitae) et ne fit jamais fortune. Il mourra d'une apoplexie. Bien qu'inhumé en l'église Saint-Roch – oh, triste sort ! - sa tombe et ses restes, comme celles de bien d'autres avant et après lui, furent profanés puis jetés dans la fosse commune. Évidemment, ce penseur appartient à cette catégorie philosophique singulière que l'on dénommera les Lumières, ces curieux porteurs de germes dont certains survivants continuent encore et toujours à résister au mal ambiant.

    Comme tous ses contemporains : je pense à Holbach, Helvétius, Voltaire, Alembert ou La Mettrie, ce courant d'intellos se caractérise comme une "association" de penseurs dotés d'une étonnante diversité dans les disciplines étudiées. Diderot en est l'exemple-type. De l'écrivain libertin des Bijoux indiscrets au romancier provocateur de La religieuse, de l'auteur du Neveu de Rameau ou de Jacques le fataliste à son Encyclopédie qui l'occupa pendant vingt-deux ans, la variété de son œuvre est remarquable.

    L'objectif était de mettre à la portée du plus grand nombre les connaissances du moment. Au travers cette démarche, comment ne pas sentir sa volonté d'améliorer le sort des hommes. "Il n'y a qu'une vertu, la justice, dit-il dans "Éléments de physiologie" ; qu'un devoir, de se rendre heureux ; qu'un corollaire, de ne pas se surfaire la vie, et de ne pas craindre la mort". Diderot souhaitait favoriser les conditions de l'émancipation du peuple face aux idéologies tutélaires de son siècle. D'ailleurs, le pouvoir monarchique ne s'y trompa pas car il interdira et bloquera durant plusieurs années la diffusion de cette Encyclopédie, à commencer en 1746 par son ouvrage Pensées philosophiques que le Parlement de Paris condamna vigoureusement.

    Athée et matérialisme convaincus, Denis Diderot ne considérait pas qu'il existe une dissociation entre le vivant et l'inerte. Dans son ouvrage Rêve de d'Alembert, il écrivait : "Il faut que la pierre sente". Nous sommes bien loin du vitalisme, alors en pleine ascension lors de ce XVIIIe siècle. Ce concept philosophique de Diderot marque une véritable rupture et, quelque part, une colossale remise en cause de la pensée régressive dominante exercée par l’Église catholique. En 1749, cela lui vaudra d'être emprisonné au donjon de Vincennes et, allant de pair, l'hostilité des libraires pour diffuser ses travaux..

    Prenez le temps de relire son Supplément au voyage de Bougainville et vous pourrez apprécier le brio de ce penseur qui déjà, pour l'époque et à sa façon, condamna l'impérialisme de la société européenne, tueuse de diversité. Je me laisse aller à un morceau choisi, celui de l'adresse d'un tahitien à Bougainville :

    "Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous a prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? (…) "Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n'es pas esclave : tu souffrirais plutôt la mort que de l'être, et tu veux nous asservir !"  

    Écrit en 1772, ce texte vient en résonance avec le Code noir de décembre 1723 et le décret du 4 février 1794 abolissant l'esclavage. Un grand bonhomme, vous dis-je… Car, en cette époque d'ultra-libéralisme triomphant, sans doute manquons-nous de penseurs ayant son étoffe ! Ce n'est pas Alain Minc qui nous contredira en affirmant : "la société française ne fabrique plus d'intellectuels à l'ancienne" (in Histoire politique des intellectuels). Mais questionnerez-vous : prendre à témoin l'ami du président Jupiter (Macron), est-ce le bon référent ? Que nenni.

     

    Eugène Varlin : 126 ans plus tard !


    Varlin E.  de F.Valloton.jpgCe 5 octobre 1839 permit très officiellement d'enregistrer sur les registres d'État-civil de Claye (Seine-et-Marne), la naissance de Eugène Varlin. Certes, si la stature du premier écrase la seconde, toutes deux possèdent des points communs.

    Varlin appartient lui-aussi au sans-grade et cela nous plaît bien ! Modeste relieur, son statut le poussa à devenir un militant ouvrier hors pair. A vingt-six ans (1865), il participa à la création d'une société mutualiste de crédit et d'épargne pour les membres de sa corporation. Partisan de l'égalité des sexes, il fit nommer à un poste de responsabilité l'une de ses amies : Nathalie Lemel. Il participa également à la fondation de plusieurs coopératives de consommation surnommées "les marmites de Varlin". Sans doute en raison du nom de l'une d'entre-elles : le restaurant coopératif La Marmite, fondée en 1867 et qui compta quelques 8.000 adhérents. Mais, plus vraisemblablement, cette appellation devrait avoir probablement pour origine l'action entreprise par les deux compères : Eugène et Nathalie, lors du siège de Paris pendant l'hiver de 1870, afin de nourrir une population parisienne affamée.

    Varlin devint l'un des premiers membres de la première Internationale (A.I.T.). Il en sera l'un des secrétaires du bureau de Paris et participa ensuite à la création d'autres bureaux, comme ceux de Lyon, du Creusot et de Lille. Il en fut le délégué durant les congrès, très tumultueux, de 1868 et de 1869. Contre l'avis de la majorité des autres délégués, il y défend le droit au travail des femmes… Mais le pouvoir voyait d'un sale œil cette association et ce fut l'occasion de multiples répressions, dont des condamnations. Trois mois de prison pour notre homme. En 1870, il s'exila en Belgique afin d'éviter un nouvel emprisonnement. Un an plus tard, après la chute su Second Empire, Eugène Varlin revient et reçoit le commandement d'un bataillon de la Garde nationale parisienne. Dès le 18 mars, il participe tout naturellement aux événements et devient membre du Comité central de la Commune. Il fut arrêté le dernier jour de cette sinistre semaine sanglante : le 28 mai 1871. Sauvagement brutalisé par les soldats (surnommés "les lignards") de l'armée versaillaise, finalement il est fusillé par ceux-ci après avoir crié "Vive la République, vive la Commune !"

    En ces temps particulièrement inquiétants de forte remise en cause des principaux acquis sociaux, cela fait particulièrement chaud au cœur de parler d'un militant proudhonien de la trempe de Eugène Varlin. Lui qui pensait pourtant et avec certitude que "c'est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l'exploitation, de l'agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la Patrie, ses malheurs et ses désastres". Sans doute a-t-il eu raison trop tôt ?

    Saluons ici la mémoire de ces deux hommes aux vies trépidantes. Par leurs pensées et par leurs actes, ils honorent l'humanité toute entière.

  • 15 septembre 1972 : Suzy Chevet nous quitte

    C'était hier, à la fin des grandes vacances passées à Port Grimaud (Côte d'Azur) que Suzy en traversant la route va être renversée et blessée mortellement. Pour son compagnon Maurice Joyeux et ses fille, gendre et petits-enfants, perdre aussi brutalement l'être aimé reste terrible. Affectivement ce le fut aussi pour le jeune militant que j'étais et qui la fréquentait très régulièrement durant ses dernières années d'existence.

     

    Chevet Suzy Carrare 1968.jpgSuzy consacra toute sa vie d'adulte à l'action militante. Elle venait du socialisme – de sa frange radicale - pour terminer à l'anarchisme et au syndicalisme révolutionnaire. La biographie ci-dessous relate ce que fut le parcours de sa vie. Ce fut sa rencontre avec Maurice Joyeux* qui resta décisive dans cette nouvelle direction qui ne la quittera plus.

     

    Un étonnant petit bout de femme que cette militante au grand cœur. Elle possédait un charisme étonnant doublé d'un dynamisme extraordinaire. Ces deux qualités surent nous entraîner en faveur du développement de la Fédération anarchiste et du groupe auquel elle tenait tant et qui lui permit de posséder de nombreux militants et amis de qualité. Passionnée de culture et de musique, Suzy fréquentait régulièrement les cabarets, particulièrement ceux où se produisaient de jeunes artistes dont elle favorisera leur lancée. Cela également lui permit de mettre en œuvre son talent d'organisatrice de galas de soutien, tant pour Force Ouvrière que pour la Fédération Anarchiste, son groupe libertaire et bien d'autres organisations : Libre Pensée, Soutien au mouvement libertaire espagnol, Franc-maçonnerie, etc. Ces manifestations remplissaient les grandes salles de l'époque et permettront notamment au mouvement libertaire de se doter des moyens financiers qui lui permettront d'accroître son rayonnement : journal hebdomadaire, radio et revue.

     

    Sa force de caractère, son obstination avaient raison de toutes les difficultés qui apparaissaient durant les phases d'action et qui auraient pu en faire hésiter plus d'un. Dans l'article nécrologique que nous lui consacrerons à l'occasion de la sortie de la revue libertaire La Rue n°14 (3e trimestre 1972), nous écrivions alors : "...Tous les camarades du Groupe libertaire Louise Michel qui la connaissaient autrement que sous un angle militant, perdent une amie authentique. Elle savait dialoguer et comprendre tous les problèmes que les nécessités de la vie leur imposaient. Chacun de nous lui contait ses déboires, ses petits ou ses grands ennuis et elle trouvait toujours le mot juste, la parole ou le geste de réconfort qui nous ragaillardissait". Avant de partir en vacances, elle nous fera part de sa hâte à voir sortir ce numéro spécial : "Marxisme ou Anarchisme". Elle y publia son dernier article, titré A l'usine, qui se concluait ainsi : "On peut raisonnablement penser qu'après un temps plus ou moins long la balance penchera vers le mouvement, vers l'évolution, vers l'anarchisme. De toute façon la chance de l'anarchisme est la chance de l'évolution et on voit mal comment les mutations de la société devraient se cantonner à des expériences qui ont été partout des échecs". Les propos sont clairs et nets et ils restent terriblement actuels !

     

    Suzy avait le feu sacré, celui du Prométhée transmetteur. Elle reste pour nous la belle figure d'une femme sensible, fraternelle**, en bref, celle d'une égérie inoubliable qui nous laisse encore aujourd'hui un profond sentiment d'amertume.

     

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    * Dans ses Souvenirs (deux tomes), Maurice évoque avec force détails sa relation avec celle qui fut sa dernière compagne.

    ** Signalons la note de Léo Campion, parue dans son livre Le drapeau noir, l'équerre et la compas, qui rappelle son appartenance à la Franc-maçonnerie (Droit Humain), à la loge Raspail puis Louise Michel.

     

     

    Brève biographie (reprise en partie dans l'Éphéméride anarchiste) :

    Née le 25-09-1905 à Montjean (Maine-et-Loire).

    Fille d'un père syndicaliste et mutualiste.

    Élève de l’École Normale d'Institutrices d'Angers, elle devient institutrice.

    Militante au sein du Parti Socialiste (tendance Marceau Pivert).

    S'occupe des Auberges de Jeunesse. Elle créa celle de Saint-Malo.

    1938 : participation aux Comités d'aide à la révolution espagnole.

    1941 : révocation de l'enseignement et assignée à résidence.

    Organisatrice d'une filière d'évasions passant par l'île anglo-normande de Jersey.

    1942 : Arrêtée par la Gestapo, transférée à Angers. Réussie une évasion et rejoint Lorient. Sous une fausse identité, elle arrive à travailler dans les bureaux du STO jusqu'à la Libération. Cela lui permet de renseigner la Résistance.
    Après la Libération, elle arrive à Paris où elle a du mal à retrouver un poste d'enseignante. Elle finit par trouver un emploi au Ministère du Travail
    dans lequel elle termina comme inspectrice.

    En 1945, elle rencontre Maurice Joyeux qui deviendra son compagnon. Elle milite à ses côtés au sein de la Fédération anarchiste. Elle animera le "Groupe de L'Ouest" qui deviendra le "Groupe Louise Michel".

    Milite également à "La Libre Pensée" et à "La Ligue des Droits de l'Homme".

    En 1947 participe à la création de la "CGT-Force Ouvrière" et sera membre de la commission exécutive de la région parisienne.

  • 23 Août 1997 : Journée international sur l'esclavage

    Un mal endémique


    Il y a vingt-et-un ans exactement que l'Unesco a proclamé ce jour comme étant la "Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition". Qui s'en souvient encore ?

     

    Esclavage.jpgIl s'agissait d'empêcher l'oubli et de rappeler, selon les termes de Koïchiro Matsuura, alors directeur de cet organisme, qu'elle fut "une tragédie longtemps occultée ou méconnue et de lui restituer la place qui doit être la sienne dans la conscience des hommes". En effet, comment oublier cette redoutable marchandisation des êtres humains ? Celle-ci a permis l'essor industriel des grandes nations européennes et américaines, construites avec ce principe de servitude et son corollaire : une source d'énergie importante et puissante qu'elle générait pour leur économie. Conquête, asservissement, rapine forment la triade infernale de ce système détestable.

     

    Le revers de ce drame planétaire se traduit, encore aujourd'hui, par une déstructuration complète de nombreux pays, notamment en Afrique de l'Ouest et de ses zones subsahéliennes où étaient concentrés l'un des principaux approvisionnements en esclaves. Cela eut pour conséquence d'opérer sur le long terme un laminage démographique et économique de ces zones, expliquant – du moins partiellement encore - leur sous-développement.

     

    A l'occasion de la conférence de Durban (Afrique du Sud), en septembre 2001, les pays colonialistes refusèrent de présenter leurs excuses. Néanmoins, les 170 États présents sont parvenus à un accord consensuel minimal : ils n'admettent que les réparations historiques et ...morales, autrement dit rien. Ce devoir de réparation de la mémoire et de prise de conscience historique ne changent rien à l'affaire. Les vrais problèmes subsistent et continuent de régir les relations nord-sud. Comment faire semblant et s'étonner que ce devoir de mémoire disparaît, en particulier lors de chaque arrivage de clandestins sur les cotes de l'Europe ou, comme aux États-Unis, aux frontières de leurs pays ?

     

    Bien sûr, nous savons tous à qui nous devons la puissance de nos pays respectifs. Et nous sommes effarés par le cynisme et la violence générées par nos sociétés et ses dirigeants auprès des migrants comme auprès de ce monde de nos banlieues, victime lui aussi de l'insociabilité à forts relents colonialistes. Élie Reclus (le frère d’Élisée) écrivait déjà en 1894 : "Il n'est pas encore tout à fait mort, le pauvre Nègre, mais il ne traînera plus longtemps. Il est tombé sous les coups d'une civilisation dont les campagnes, dites pacifiques, sont plus meurtrières que ne fut jamais guerre entre sauvages"*. Ces propos font toujours aussi froids dans le dos et nous éloignent de cette société qui – contrepartie oblige - dispense une charité et une bonne conscience très sélective, alors que rien ne bouge vraiment.

     

    Ne sommes-nous pas en droit de nous poser cette question : a-t-on encore le droit de fêter cette pseudo Journée internationale du souvenir ?

     

    * In Le primitif d'Australie.