Il faut lire au moins une fois L'Unique et sa propriété (1844) pour comprendre toute l'importance de cette oeuvre d'exception et en mesurer le contenu. Un ouvrage puissant dans lequel Stirner, à force de "baser sa cause sur rien", est devenu le chantre de l'individualisme anarchiste.
Curieux personnage que ce philosophe allemand, né il y a 213 ans maintenant, qui fit à l'époque ses armes et ses marques auprès du courant des jeunes hégeliens au près desquels nous citerons deux hommes parmi les plus célèbres : les sieurs Engels et Marx. Ce dernier, avec sa classe habituelle, tailla en pièces Stirner, en particulier dans son ouvrage : L'idéologie allemande (1845). Hé oui, le Dieu Marx dans toute sa grandeur n'hésita pas à assimiler Stirner parmi "ces épiciers de la pensée pleins d'emphase et d'arrogance qui se croient infiniment au-dessus des préjugés nationaux sont, dans la pratique, beaucoup plus nationaux que les piliers de brasserie qui rêvent en petits bourgeois de l'unité allemande." Cela respire une bonne odeur de sympathie entre les deux hommes… Pour nos deux intellectuels, l'un resta dans ce qu'il savait faire, à savoir une remise en cause philosophique des grandes thématiques du moment, et l'autre sur la recherche dialectique d'une pratique (ou praxis) dont il faudra attendre plusieurs décennies pour connaître la réalité de son échec.Stirner s'attaqua à des monstres : "Le divin regarde Dieu, l'humain regarde l'Homme. Ma cause n'est ni divine ni humaine, ce n'est ni le vrai, ni le bon, ni le juste, ni le libre, c'est la Mien… Rien n'est, pour Moi, au-dessus de Moi !" Le ton est donné et toutes ces critiques à l'égard de l'idéalisme et à l'essence divine restèrent particulièrement redoutables. Tout comme celles d'ailleurs qui concernent l'Etat, le libéralisme politique et son corollaire social : la société. Il fait feu de tout bois de toutes ces idoles, ces spéculations qui mènent tout droit l'homme sur les chemins de la servitude.
Pour Stirner, le Moi doit découvrir et dévoiler son unicité, une unité vivante qui tient en échec tous ces fantasmes philosophiques qui hantent l'esprit humain, alors qu'elles restent les propres créatures de son imaginaire. Il revient sur cette querelle entre les Anciens "esclaves du naturel" et les Modernes, ses cartésiens où domine l'Esprit et ce souffle de la connaissance scientifique, "la seule vraie et valable".
En prônant l'Unique, notre philosophe invitait à la création d'une "Association des égoïstes", naturellement opposée à toute structure contraignante. Cette association devait permettre une vie organisée mais authentiquement libre. En refusant l'autorité, il prônait ainsi la désobéissance la plus totale. Sans aucun doute de nombreux points communs se reconnaissent avec ceux de l'individualisme américain et de son chantre : Henri-David Thoreau. Comment ne pas en retrouver aussi avec le magnifique Nietzsche ? Toutefois attention : il s'agit de rester très circonspect sur ce que nous considérons comme une ligne de fracture entre les deux penseurs : celle de l'existence d'un être qui se surpasse : le surhomme selon notre célèbre prussien. Ce surhomme qui deviendra l'objet d'une création interprétative dans l'univers nazi, sous la forme d'un triste et dramatique avatar.
Certains ont vu Max Stirner comme le précurseur du courant existentialisme. Cette filiation nous semble quelque peu hasardeuse et assez difficile à admettre. Pas étonnant d'ailleurs qu'un Albert Camus ait refusé une telle appartenance car on y retrouve pêle-mêle toutes sortes de variantes humanistes : marxiste, chrétienne, etc. Enfin, comment ne pas dire un mot de l'approche de Michel Onfray sur notre personnage. Il conteste la posture anarchiste du penseur allemand. Laissons donc à son auteur cet anti-éloge que, de toute évidence, nous ne saurions partager. Même si il vrai que Proudhon fut le premier à utiliser le terme d'anarchie, pourquoi dissocier Stirner de ce courant en pleine gestation et qui ne tardera pas à faire ses premiers affidés ?
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* Né à Bayreuth, il décéda cinquante ans plus tard à Berlin.