Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : Proudhon

  • Réseaux !

    Publié par le Centre national de la recherche scientifique, de prime abord le titre de cet ouvrage lui confère une dimension peu alléchante. Dans cette jungle du numérique, on pourrait considérer qu'il s'agit encore d'un enième livre sur le sujet. Pourtant, il n'en est rien.

    Note de lecture

    Réseaux !

    Jacques BLAMONT

    (CNRS Editions, nov.2018, 272 pages, 23 €)

     

    D'emblée, on sent la patte du connaisseur* qui a pris, comme le précise le sous-titre, "le pari de l'intelligence collective". De suite, le ton est donné. Après avoir brillamment survolé l'évolution fantastique prise par les NTIC**, il soulève le voile des relations impactant l'homme et la société technicienne. Relations complexes qui se construisent selon un rythme et une obsolescence accélérée, parfaitement définis par la loi de Moore. C'est-à-dire et en clair, la constatation d'un quasi doublement des performances technologiques tous les dix-huit mois. Cela s'observe parfaitement dans ce constat des cadences rapides de fabrication de nos "joujoux" électroniques : ordinateurs, téléphones portables, domotique, etc., et plus spectaculairement dans les pas de géant réalisés par de nombreux secteurs d'activité, tel celui de l'aérospatiale.

     

    Réseaux.jpgMais ce foisonnement des nouvelles technologies ne servirait à rien si il n'y avait pas en parallèle un développement relativement récent et tout aussi extraordinaire d'acteurs s'impliquant dans le processus. Ceux-ci forment ensemble une immense chaîne, plus ou moins diffuse et structurée, qui a permis la naissance d'un vaste univers collaboratif. Ce monde, complètement wiki, reste le créateur de l'open source. Quel que soit son échelle, ce monde multiple inter-réagit en développant d'innombrables connaissances – tel Wikipédia -, de nouvelles relations : scientifiques, techniques et commerciales, ainsi que de nouveaux besoins humains aussi divers que variés.

     

    Cette intelligence collective, créatrice par exemple des logiciels libres, offre une variété de fonctionnements parfaitement décrits par l'auteur, et qui prennent en compte l'horizontalité comme méthode de travail. Mais il manque à ces groupes participatifs plus ou moins diffus, une structure verticale assurant, par ses règles strictes, une puissance normative. C'est là qu'intervient, à l'image de ce qu'il connaît bien dans le monde aérospatial, les institutions représentatives des pouvoirs publics. Il nous propose donc la création de fédérations offrant un cadre précis permettant d'associer et de faire cohabiter ces deux mondes à géométrie bien distincte.

     

    L'auteur pense avoir trouvé un concept original et singulier. Or, c'est là où il fait erreur. Certainement bon astrophysicien, il semble manquer de culture politico-sociale. Ce concept fédératif est déjà ancien. Au XIXe siècle, Pierre-Joseph Proudhon en fut le premier concepteur. Comment ne pas rappeler son ouvrage : Du principe fédératif ? Un système qui sera d'ailleurs repris et appliqué dans divers milieux, notamment mutualiste et syndical. Plus récemment, il reste à l'origine du concept même de la construction européenne. Cette ignorance de Jacques Blamont pourrait être excusée si celui-ci n'écrivait pas cette curieuse définition des communautés libertariennes américaines : "cette multitude d'anars ennemis de toute discipline". Il cite parmi ceux-ci un certain ploutocrate : Jeff Bezos, le pdg d'Amazon. Autant affirmer que Staline était un bon démocrate ! Nous lui répliquons tout simplement en rappelant les propos d'un autre grand scientifique s'il en est : Élisée Reclus. "L'anarchie est la plus haute expression de l'Ordre". Il s'entend que la discipline va de pair avec la conception reclusienne de l'anarchisme.

     

    Cette fragilité de l'écrit ne saurait toutefois masquer son intérêt principal qui réside dans la description des grands mouvements scientifiques et technologiques. Ceux-ci ont et continuent de bouleverser et de transformer notre monde et, disons-le tout simplement, dans ce que notre être a de plus profond. Pour cela, il est un excellent apport de réflexions que nous ne saurions trop vous conseiller.

     

    ________

    * Astrophysicien et premier directeur scientifique du CNRS.

    ** Nouvelles technologies d'information et de communication.

  • 25-10-1806 : Max Stirner. Naissance à Bayreut*.

    Il faut lire au moins une fois L'Unique et sa propriété (1844) pour comprendre toute l'importance de cette oeuvre d'exception et en mesurer le contenu. Un ouvrage puissant dans lequel Stirner, à force de "baser sa cause sur rien", est devenu le chantre de l'individualisme anarchiste.Stirner Clifford Harper.jpgCurieux personnage que ce philosophe allemand, né il y a 213 ans maintenant, qui fit à l'époque ses armes et ses marques auprès du courant des jeunes hégeliens au près desquels nous citerons deux hommes parmi les plus célèbres : les sieurs Engels et Marx. Ce dernier, avec sa classe habituelle, tailla en pièces Stirner, en particulier dans son ouvrage : L'idéologie allemande (1845). Hé oui, le Dieu Marx dans toute sa grandeur n'hésita pas à assimiler Stirner parmi "ces épiciers de la pensée pleins d'emphase et d'arrogance qui se croient infiniment au-dessus des préjugés nationaux sont, dans la pratique, beaucoup plus nationaux que les piliers de brasserie qui rêvent en petits bourgeois de l'unité allemande." Cela respire une bonne odeur de sympathie entre les deux hommes… Pour nos deux intellectuels, l'un resta dans ce qu'il savait faire, à savoir une remise en cause philosophique des grandes thématiques du moment, et l'autre sur la recherche dialectique d'une pratique (ou praxis) dont il faudra attendre plusieurs décennies pour connaître la réalité de son échec.

    Stirner s'attaqua à des monstres : "Le divin regarde Dieu, l'humain regarde l'Homme. Ma cause n'est ni divine ni humaine, ce n'est ni le vrai, ni le bon, ni le juste, ni le libre, c'est la Mien… Rien n'est, pour Moi, au-dessus de Moi !" Le ton est donné et toutes ces critiques à l'égard de l'idéalisme et à l'essence divine restèrent particulièrement redoutables. Tout comme celles d'ailleurs qui concernent l'Etat, le libéralisme politique et son corollaire social : la société. Il fait feu de tout bois de toutes ces idoles, ces spéculations qui mènent tout droit l'homme sur les chemins de la servitude.

    Pour Stirner, le Moi doit découvrir et dévoiler son unicité, une unité vivante qui tient en échec tous ces fantasmes philosophiques qui hantent l'esprit humain, alors qu'elles restent les propres créatures de son imaginaire. Il revient sur cette querelle entre les Anciens "esclaves du naturel" et les Modernes, ses cartésiens où domine l'Esprit et ce souffle de la connaissance scientifique, "la seule vraie et valable".

    En prônant l'Unique, notre philosophe invitait à la création d'une "Association des égoïstes", naturellement opposée à toute structure contraignante. Cette association devait permettre une vie organisée mais authentiquement libre. En refusant l'autorité, il prônait ainsi la désobéissance la plus totale. Sans aucun doute de nombreux points communs se reconnaissent avec ceux de l'individualisme américain et de son chantre : Henri-David Thoreau. Comment ne pas en retrouver aussi avec le magnifique Nietzsche ? Toutefois attention : il s'agit de rester très circonspect sur ce que nous considérons comme une ligne de fracture entre les deux penseurs : celle de l'existence d'un être qui se surpasse : le surhomme selon notre célèbre prussien. Ce surhomme qui deviendra l'objet d'une création interprétative dans l'univers nazi, sous la forme d'un triste et dramatique avatar.

    Certains ont vu Max Stirner comme le précurseur du courant existentialisme. Cette filiation nous semble quelque peu hasardeuse et assez difficile à admettre. Pas étonnant d'ailleurs qu'un Albert Camus ait refusé une telle appartenance car on y retrouve pêle-mêle toutes sortes de variantes humanistes : marxiste, chrétienne, etc. Enfin, comment ne pas dire un mot de l'approche de Michel Onfray sur notre personnage. Il conteste la posture anarchiste du penseur allemand. Laissons donc à son auteur cet anti-éloge que, de toute évidence, nous ne saurions partager. Même si il vrai que Proudhon fut le premier à utiliser le terme d'anarchie, pourquoi dissocier Stirner de ce courant en pleine gestation et qui ne tardera pas à faire ses premiers affidés ?

    _____

    * Né à Bayreuth, il décéda cinquante ans plus tard à Berlin.