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  • Mademoiselle dictateur

    BREVE DE LECTURE

     

    Mademoiselle dictateur

    Pierre-Valentin BERTHIER

    (L'Amitié par le Livre, 1956 – 274 pages)

     

    Pierre-Valentin Berthier, la rue, Fédération anarchisteA l'occasion d'une chine, je suis tombé sur ce deuxième roman de feu l'ami Pierre-Valentin Berthier*.

     

    Celui-ci collabora pendant de nombreuses années à la presse libertaire en général et, en particulier, aux journaux de la Fédération anarchiste** et à la revue La Rue. Dans cette dernière, il publia en 1976 un article pacifiste "La guerre et son instrument". C'est dire quel fut l'un des axes majeurs de son engagement. Malheureusement et à mon grand regret, je n'ai pas eu l'occasion de le rencontrer physiquement, malgré mon appartenance aux deux comités de rédaction pour lesquels il collaborait, si ce n'est dans le cadre d'échanges épistolaires toujours empreints de fraternité.

     

    Son roman s'inscrit dans cette veine que jamais il ne quitta. L'action se situe durant la Seconde guerre mondiale et met en jeu d'étranges personnages. L'intrigue est bien menée et nous met en haleine jusqu'à la dernière page. Un travail d'orfèvre à l'image de tout ce que j'ai pu lire de lui. Si vous avez l'occasion de vous procurer ces ouvrages, je ne peux que vous inviter à vous en saisir.

     

    * Wikipédia lui consacre un bel article biographique.

    ** Pierre-Valentin y tenait régulièrement la rubrique "A rebrousse-poil", symbolisée par le logotype ci-dessous :

    pierre-valentin berthier,la rue,fédération anarchiste

  • Le réformisme syndical a du plomb dans l'aile

    On nous informe - via Le Canard enchaîné* du 3 octobre 2018 - de l'état financier de la centrale CGT-Force Ouvrière. A la lecture de cet article c'est peu de dire qu'il n'est pas brillant.

     

    lutte-classe.jpgLes cotisations ne représentent plus que le quart de ses rentrées financières, le reste dépend des subsides – importants – versés par l’État et quelques autres lieux sous l'influence syndicale, tel par exemple celui des Comités d'entreprise. Comme quoi paritarisme et réformisme possèdent au moins cela de bon : ils permettent de calmer les vélléités contestataires qui ne manquent pas d'apparaître. Cela n'empêche pas le syndicat d'avoir un budget en fort déficit au point, chaque année, de ponctionner son "bas de laine", une sorte de trésor de guerre. Actuellement, toujours selon les sources du journal satirique, il serait de 8 millions d'euros contre – tenez-vous bien ! - 60 millions pour la "révolutionnaire" CGT et 134 millions pour la réformiste CFDT ! Nous avons comme l'impression que les permanents syndicaux vivent assez correctement de leur statut et de leurs mandats dans les organismes paritaires, à commencer par leurs secrétaires généraux. Leurs congrès coûtent un bras, sans parler de la construction de leur siège (ohé ! M. Bouygues, en voici un curieux allié de la classe ouvrière...).

     

    Le nouveau "patron" de FO envisage, dit-on, à faire un audit sur cette étonnante machine à cash. En attendant, son administration utilise le dégraissage : 10 salariés en CDD et deux autoentrepreneurs sont priés d'aller voir ailleurs. Pas mal ces deux statuts précaires pour des structures syndicales prétendant défendre la juste et belle cause prolétarienne.

     

    Décidément, dans le monde syndical actuel cela sent bien de curieuses moisissures. Comment s'étonner après que beaucoup n'y croient plus guère ? A force de s'intégrer au système, ce syndicalisme-là joue d'agent répulsif et augmente un peu plus le rejet ambiant des valeurs longtemps portées par celui-ci.

     

     

    * Le dessinateur Pétillon représente une grande perte pour ce journal et pour l'humour que nous aimons. Nous saluons sa mémoire et le remercions pour les emprunts que nous avons faits. Il reste à jamais dans nos cœurs.

    Nous ne saurions trop vous conseiller d'aller sur le blog ami "Les ronds dans l'eau" qui en parlent abondamment.

    Petillon.png

  • 5 octobre : Diderot et Varlin, deux personnages hors normes. Tous deux nés ce jour.

    Denis Diderot, Langres un certain 5 octobre 1713...

    Diderot D..jpgJ'adore son "parcours" d'homme. Fils d'artisan coutelier, ses parents le destinaient au séminaire. En réalité, il monta à Paris afin d'y gagner sa vie en donnant des leçons et en traduisant des auteurs anglais, en particulier. Il épousa une lingère (beurq ! voici le type d'information à masquer dans un curriculum vitae) et ne fit jamais fortune. Il mourra d'une apoplexie. Bien qu'inhumé en l'église Saint-Roch – oh, triste sort ! - sa tombe et ses restes, comme celles de bien d'autres avant et après lui, furent profanés puis jetés dans la fosse commune. Évidemment, ce penseur appartient à cette catégorie philosophique singulière que l'on dénommera les Lumières, ces curieux porteurs de germes dont certains survivants continuent encore et toujours à résister au mal ambiant.

    Comme tous ses contemporains : je pense à Holbach, Helvétius, Voltaire, Alembert ou La Mettrie, ce courant d'intellos se caractérise comme une "association" de penseurs dotés d'une étonnante diversité dans les disciplines étudiées. Diderot en est l'exemple-type. De l'écrivain libertin des Bijoux indiscrets au romancier provocateur de La religieuse, de l'auteur du Neveu de Rameau ou de Jacques le fataliste à son Encyclopédie qui l'occupa pendant vingt-deux ans, la variété de son œuvre est remarquable.

    L'objectif était de mettre à la portée du plus grand nombre les connaissances du moment. Au travers cette démarche, comment ne pas sentir sa volonté d'améliorer le sort des hommes. "Il n'y a qu'une vertu, la justice, dit-il dans "Éléments de physiologie" ; qu'un devoir, de se rendre heureux ; qu'un corollaire, de ne pas se surfaire la vie, et de ne pas craindre la mort". Diderot souhaitait favoriser les conditions de l'émancipation du peuple face aux idéologies tutélaires de son siècle. D'ailleurs, le pouvoir monarchique ne s'y trompa pas car il interdira et bloquera durant plusieurs années la diffusion de cette Encyclopédie, à commencer en 1746 par son ouvrage Pensées philosophiques que le Parlement de Paris condamna vigoureusement.

    Athée et matérialisme convaincus, Denis Diderot ne considérait pas qu'il existe une dissociation entre le vivant et l'inerte. Dans son ouvrage Rêve de d'Alembert, il écrivait : "Il faut que la pierre sente". Nous sommes bien loin du vitalisme, alors en pleine ascension lors de ce XVIIIe siècle. Ce concept philosophique de Diderot marque une véritable rupture et, quelque part, une colossale remise en cause de la pensée régressive dominante exercée par l’Église catholique. En 1749, cela lui vaudra d'être emprisonné au donjon de Vincennes et, allant de pair, l'hostilité des libraires pour diffuser ses travaux..

    Prenez le temps de relire son Supplément au voyage de Bougainville et vous pourrez apprécier le brio de ce penseur qui déjà, pour l'époque et à sa façon, condamna l'impérialisme de la société européenne, tueuse de diversité. Je me laisse aller à un morceau choisi, celui de l'adresse d'un tahitien à Bougainville :

    "Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous ; et tu nous a prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? (…) "Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé ; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n'es pas esclave : tu souffrirais plutôt la mort que de l'être, et tu veux nous asservir !"  

    Écrit en 1772, ce texte vient en résonance avec le Code noir de décembre 1723 et le décret du 4 février 1794 abolissant l'esclavage. Un grand bonhomme, vous dis-je… Car, en cette époque d'ultra-libéralisme triomphant, sans doute manquons-nous de penseurs ayant son étoffe ! Ce n'est pas Alain Minc qui nous contredira en affirmant : "la société française ne fabrique plus d'intellectuels à l'ancienne" (in Histoire politique des intellectuels). Mais questionnerez-vous : prendre à témoin l'ami du président Jupiter (Macron), est-ce le bon référent ? Que nenni.

     

    Eugène Varlin : 126 ans plus tard !


    Varlin E.  de F.Valloton.jpgCe 5 octobre 1839 permit très officiellement d'enregistrer sur les registres d'État-civil de Claye (Seine-et-Marne), la naissance de Eugène Varlin. Certes, si la stature du premier écrase la seconde, toutes deux possèdent des points communs.

    Varlin appartient lui-aussi au sans-grade et cela nous plaît bien ! Modeste relieur, son statut le poussa à devenir un militant ouvrier hors pair. A vingt-six ans (1865), il participa à la création d'une société mutualiste de crédit et d'épargne pour les membres de sa corporation. Partisan de l'égalité des sexes, il fit nommer à un poste de responsabilité l'une de ses amies : Nathalie Lemel. Il participa également à la fondation de plusieurs coopératives de consommation surnommées "les marmites de Varlin". Sans doute en raison du nom de l'une d'entre-elles : le restaurant coopératif La Marmite, fondée en 1867 et qui compta quelques 8.000 adhérents. Mais, plus vraisemblablement, cette appellation devrait avoir probablement pour origine l'action entreprise par les deux compères : Eugène et Nathalie, lors du siège de Paris pendant l'hiver de 1870, afin de nourrir une population parisienne affamée.

    Varlin devint l'un des premiers membres de la première Internationale (A.I.T.). Il en sera l'un des secrétaires du bureau de Paris et participa ensuite à la création d'autres bureaux, comme ceux de Lyon, du Creusot et de Lille. Il en fut le délégué durant les congrès, très tumultueux, de 1868 et de 1869. Contre l'avis de la majorité des autres délégués, il y défend le droit au travail des femmes… Mais le pouvoir voyait d'un sale œil cette association et ce fut l'occasion de multiples répressions, dont des condamnations. Trois mois de prison pour notre homme. En 1870, il s'exila en Belgique afin d'éviter un nouvel emprisonnement. Un an plus tard, après la chute su Second Empire, Eugène Varlin revient et reçoit le commandement d'un bataillon de la Garde nationale parisienne. Dès le 18 mars, il participe tout naturellement aux événements et devient membre du Comité central de la Commune. Il fut arrêté le dernier jour de cette sinistre semaine sanglante : le 28 mai 1871. Sauvagement brutalisé par les soldats (surnommés "les lignards") de l'armée versaillaise, finalement il est fusillé par ceux-ci après avoir crié "Vive la République, vive la Commune !"

    En ces temps particulièrement inquiétants de forte remise en cause des principaux acquis sociaux, cela fait particulièrement chaud au cœur de parler d'un militant proudhonien de la trempe de Eugène Varlin. Lui qui pensait pourtant et avec certitude que "c'est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l'exploitation, de l'agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la Patrie, ses malheurs et ses désastres". Sans doute a-t-il eu raison trop tôt ?

    Saluons ici la mémoire de ces deux hommes aux vies trépidantes. Par leurs pensées et par leurs actes, ils honorent l'humanité toute entière.