Nouvelle vue sur les coulisses de notre "beau" monde. La situation actuelle : sanitaire et préélectorale, nous indique qu'il s'agite beaucoup...
Un article publé dans Le Monde Diplomatique, de janvier 2022 (ci-dessous), dépeint parfaitement l'arrière-décor médiatico-capitaliste de cette ribambelle qui nous dirige. A cette lecture vous vous appercevrez vite que ces personnages ne font pas partie de ce petit peuple d'effrontés, cette canaille*, dont nous nous prévalons.
Que cette lecture fait du bien... Elle permet de rebattre les cartes, notamment auprès de tous ceux qui continuent à se faire des films sur leur rôle dans cette société interlope. Loin de nous de penser que pour nombre d'entre-eux ce soient le cas. Pour d'autres, il faut rappeler qu'ils ne sont jamais que de petits rouages auprès desquels les maîtres du monde dispersent quelques miettes de pouvoir et de rétribution. Au nom de leur pouvoir, ils se permettent tout jusqu'aux attitudes les plus sordides. Ne seraient-ce pas les marques d'un monde particulièrement pourri, tant dans ses soubassements que dans ses aggissements ?
Nous sommes reconnaissant à l'auteure pour son approche produite. Cette dernière invite à la réflexion. Dans sa conclusion, malheureusement, la journaliste nous laisse terriblement sur notre fin. En effet, celle-ci arrête son chemin sans aller au bout de ce qui devrait s'imposer : un fort coup de balai. Comment ne pas proposer un autre type de société, à notre avis totalement libertaire, donc anti-autoritaire ? Dommage que son analyse s'arrête là où nous aurions aimé qu'elle continue. Oui dommage, que l'on soit frustré par cette pensée s'arrêtant là. Cela ne peut que nous laisser un goût d'amertume.
Pourtant, depuis assez longtemps nous avons été prévenu. Après la terrible défaite populaire, Louise Michel disait : "Le pouvoir est maudit". Il est toujours temps de s'en rendre compte. Et tant pis pour tous ceux qui continuent à penser à sa perfectibilité...
* "La canaille". Chanson de la deuxième partie du XIX siècle d'Alexis Bouvier. Extraits :
"C’est l’honnête homme dont la main
Par la plume ou le marteau gagne
En suant son morceau de pain.
C’est le père enfin qui travaille
Les jours et quelquefois les nuits
C’est la canaille !
Eh bien ! j’en suis !"
Le Monde Diplomatique (Janvier 2022) :
"Vincent Bolloré côté cour
Fin 2021, alors qu’un chroniqueur d’extrême droite de la chaîne CNews devenait le candidat du groupe Bolloré à l’élection présidentielle, l’establishment a paru s’étonner qu’un pilier du capitalisme français soutienne ouvertement des thèses aussi réactionnaires. C’est peu dire que le couple formé par MM. Éric Zemmour et Vincent Bolloré embarrasse les élites économiques : à l’opposé d’une extrême droite arriérée contre laquelle il est confortable de se mobiliser, ce tandem personnifie une bourgeoisie conservatrice, raffinée et brutale. Mais assurément moins tapageuse que ses deux porte-flamberge, dont les inclinations politiques proclamées sans détour indisposent l’univers des possédants. Pour la classe dirigeante, l’année 2022 débute par une équation insoluble : comment critiquer Zemmour-Bolloré sans s’éclabousser soi-même ?
Célébré par la presse et par ses pairs sous les atours successifs du « petit prince du cash-flow » dans les années 1980 et 1990, de l’industriel « audacieux » et « visionnaire » dans la décennie 2000, du repreneur d’entreprises en vue puis du conquérant d’Afrique, le milliardaire gravite de longue date, tout comme son chroniqueur, à l’intersection des galaxies économique, politique et médiatique. Tous deux se disent marginaux en squattant les positions de pouvoir. D’un côté, le magnat des médias, qui étend son influence à travers les rachats de Havas, Editis, Canal Plus, Prisma et désormais Lagardère-Hachette, incarne un patronat soucieux de s’adapter à la mondialisation en liquidant le service public et en quadrillant l’édition. De l’autre, le journaliste du Figaro Magazine, diplômé de Sciences Po, qui porte depuis deux décennies la voix d’une droite autoritaire et misogyne, dépeignait déjà l’exilé en « envahisseur » le samedi soir sur France 2, sur le plateau de la chaîne i-Télé de l’ère pré-Bolloré ou sur RTL avant sa reprise par M6.
Certes, l’immigration zéro n’est pas propice aux affaires, mais la thèse du « grand remplacement » taraude une élite soucieuse de se survivre à elle-même et qui, plus qu’aucun autre groupe social, cultive l’entre-soi, la tradition et l’exclusive. M. Bolloré ne symbolise-t-il pas un capitalisme familial qui prospère en enjambant les siècles ? Pour la caution morale, l’employeur de M. Zemmour peut compter sur Bernard-Henri Lévy, édité chez Grasset (Hachette) : preuve que le milliardaire cacherait des trésors de tolérance, la maison qu’il contrôle, Editis, « publie jusqu’aujourd’hui quelques-uns des spécimens de ce que l’extrême gauche produit de plus radical », plaide BHL. Aux yeux de l’essayiste, l’homme d’affaires est « un conservateur chrétien, certes oui, avec ce que l’alliage de ces deux termes induit de réprobation chez les spécialistes du procès d’intention. Mais un extrémiste, non (1) ».
Mais qui est vraiment M. Bolloré ? Sa famille relève davantage de la grande bourgeoisie catholique de l’Ouest parisien que du granit breton. Chez lui, on fréquente Georges Pompidou, ancien de la banque Rothschild avant d’être président, Édouard de Ribes, le patron de la banque Rivaud, ou encore les Dassault. Dès ses débuts, il se fait remarquer par ses montages complexes de reprises industrielles avec le concours d’Edmond de Rothschild puis d’Antoine Bernheim, ami de sa famille. C’est à cet associé gérant de la banque Lazard qu’il doit la recette de son ascension : « comment lancer une offre publique sans débourser d’argent, dépecer une entreprise en en gardant l’actif principal pour en tirer le plus d’argent possible, et enfin contrôler son groupe sans avoir de capital », résument les auteurs d’une biographie (2). Bolloré ne s’est-il pas rendu maître de Vivendi avec seulement 27 % des parts ?
Très tôt, il a alimenté la légende d’un Bernard Tapie sans casseroles, d’un patron « catho social », comme le qualifie l’animateur Thierry Ardisson, en 1987. Sur les écrans, le financier illusionne son auditoire en prétendant qu’il « rame du même côté » que les syndicats dont il a obtenu une baisse des salaires dans l’entreprise familiale. En 1993, son groupe ne doit toutefois qu’aux interventions de MM. Bernard Esambert (Rothschild), Georges Pébereau (Marceau) et Claude Bébéar (Axa) de ne pas s’écrouler. Pour parfaire son image, M. Bolloré recourt aux services d’un ex-militant du groupuscule d’extrême droite Occident, M. Michel Calzaroni, ancien directeur de la communication du Conseil national du patronat français (CNPF). Avec sa société DGM Conseil, M. Calzaroni cultive pour son client le mythe d’un orfèvre du raid boursier multipliant les plus-values sur Pathé, Bouygues, Lazard, Aegis ou Vallourec. La légende doit susciter sa part de crainte pour faire monter les cours…
Si sa tentative de déstabilisation de M. Martin Bouygues, en 1998, lui vaudra l’hostilité tenace du propriétaire de TF1, le financier peut s’appuyer sur M. Alain Minc, qui perçoit 1 % sur ses plus-values. Devenu son conseiller en 1997, l’essayiste le persuade de mener l’opération contre M. Bouygues puis reste associé à tous ses coups financiers. Alors président du conseil de surveillance du Monde, M. Minc inspire à M. Bolloré son intérêt pour les médias, lesquels offrent à leur propriétaire une position d’influence sur le monde des affaires et de la politique. Après une mission pour la création de la chaîne Direct 8 (future C8), le conseiller favorise l’alliance entre Bolloré et Le Monde dans le quotidien gratuit Matin Plus, lancé en 2007 et dont le milliardaire prendra rapidement le contrôle complet.
On crédite parfois M. Bolloré d’avoir sauvé le cinéma français en conservant la politique de financement des films mise en place dans les années 1980 par Canal Plus. Ce geste tempère l’hostilité des artistes à son encontre et lui laisse les coudées franches pour intervenir dans les choix éditoriaux, par exemple lorsqu’il entreprend de redresser sa chaîne d’info i-Télé en conquérant un public très à droite. Cela lui vaut une longue grève, en 2016, en raison du recrutement sur i-Télé de l’animateur Jean-Marc Morandini, lequel met aujourd’hui en scène sur CNews des « Face à la rue » de M. Zemmour ou de M. Jordan Bardella (Rassemblement national, RN). Ses partisans, tel l’animateur Cyril Hanouna, qui a consacré en décembre dernier à M. Zemmour sa première émission politique avec des appointés du groupe en guise de contradicteurs (« Face à Baba »), sont gratifiés de contrats en or. Ses contempteurs, eux, doivent démissionner — comme la centaine de journalistes d’i-Télé — ou subir les procédures bâillons d’un patron qui attaque systématiquement les enquêtes trop critiques.
L’industriel, dont les activités s’étendent de la fabrication de batteries électriques à la logistique en Afrique, a toujours fait mine de se tenir loin du pouvoir politique. On le savait proche de M. Madelin, versant son obole au Cercle de l’industrie de M. Dominique Strauss-Kahn, prêtant son yacht à M. Nicolas Sarkozy fraîchement élu. Mais, à l’examen, les liens avec cet univers apparaissent bien plus touffus. Il y a d’abord M. Michel Roussin, ancien ministre de la coopération de M. Édouard Balladur, nommé vice-président du groupe Bolloré en 2000 et animateur de l’émission « Paroles d’Afrique » sur la chaîne Direct 8 — où M. Minc devisait sur l’économie « bien gérée » des subprime.
Autre recrue, l’ancien ministre socialiste Jean Glavany, nommé en 2003 au comité stratégique du groupe. MM. Bernard Kouchner, Michel Barnier ou Jean-Louis Borloo ont été invités au mariage du fils Yannick, président-directeur général de Havas. Mme Valérie Pécresse, candidate Les Républicains, connaît elle aussi bien l’entreprise : son père Dominique Roux présida la filiale Bolloré Telecom. Quant à M. François Hollande, son conseiller Bernard Poignant, ancien maire socialiste de Quimper et ami de trente ans de M. Bolloré, lui servait de trait d’union avec l’homme d’affaires, auquel M. Poignant a remis la médaille « grand or » du travail, en 2013.
Dans cette nébuleuse où se côtoient les diverses composantes du pouvoir, Havas occupe la place du grand mélangeur des genres. L’agence se trouve en conflit d’intérêts permanent lorsqu’elle place l’argent confié par ses clients annonceurs dans Canal Plus, C8 ou CNews. Son vice-président, M. Stéphane Fouks, fut le conseiller en communication des anciens ministres socialistes Strauss-Kahn et Jérôme Cahuzac, et reste lié à l’ancien premier ministre socialiste Manuel Valls, qui appelle depuis peu à « arrêter l’immigration » sur CNews. Bien représenté sous les ors de la République, Havas a placé à l’Élysée puis à Matignon ses conseillers en communication Ismaël Emelien (jusqu’à l’affaire Benalla) et Mayada Boulos, ainsi qu’une quinzaine d’inféodés dans plusieurs cabinets ministériels. M. Gilles Finchelstein, directeur des études de Havas Worldwide, se charge quant à lui d’actualiser le programme de la gauche en tant que directeur général de la Fondation Jean-Jaurès.
C’est toutefois la mairie de Paris qui a suscité l’engagement le plus « socialiste » de M. Bolloré. Après avoir rendu hommage à M. Bertrand Delanoë pour son choix des voitures électriques Bluecar (groupe Bolloré) du service Autolib’, le milliardaire a déclaré en 2013 : « Je voterai sûrement pour Anne Hidalgo (3). » La division familiale du travail politique déboussole : M. Yannick Bolloré aurait assuré la maire de Paris, en mai 2021, que « le jeu est ouvert, [qu’]il faut un candidat de gauche contre Macron (4) » ; presque au même moment, son père encourageait M. Zemmour.
M. Emmanuel Macron, lui, s’accommode fort bien du bolloro-zemmourisme, jouant tantôt de la confrontation par ministres interposés (Mmes Marlène Schiappa et Élisabeth Moreno ferraillant chez Hanouna), tantôt la fausse connivence en laissant un conseiller de l’Élysée intervenir en direct par SMS dans l’émission de Pascal Praud, l’animateur qui se définit « à 100 % Bolloré ».
Le décor médiatique est planté : lors de la prochaine élection présidentielle, l’électeur-téléspectateur pourra choisir entre le président sortant et un attelage composé d’un capitaliste réactionnaire et d’un journaliste xénophobe, tous calibrés pour l’ère du libéralisme autoritaire.
Marie Bénilde
Journaliste. Auteure d’On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, 2007.
(1) Le Point, Paris, 23 septembre 2021.
(2) Nicolas Cori et Muriel Gremillet, Vincent Bolloré. Ange ou démon ?, Hugo Doc, Paris, 2008.
(3) Le Figaro, Paris, 14-15 septembre 2013.