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2019-06-07 Norbert Truquin, un "marquis de Haute Misère"

En ce jour, je tiens à honorer un homme quasi inconnu à bon nombre d'entre-nous. Il reste oublié et occulté par l'envahissant mouvement littéraire bourgeois.

Cet homme naquit il y a fort longtemps, un 7 juin 1833 dans un village picard : Rozières-en-Santerre. Sur Wikipedia, l'historiographe du coin ignore complètement notre personnage. Tout juste est-il rappeler à l'occasion des événements de 1848 de l'existence de quelques "partisans". De même, que l'on ignore la date de son décès qui eut lieu à Independencia, au Paraguay, où il se retira à partir du mois d'avril 1887.

Autodidacte, ce "Marquis de Haute Misère" [sobriquet moqueur qui lui fut donné par des enfants lyonnais] fit la révolution de 1848 et prendra part aux événements de 1870 et 1871. Il connaîtra la prison, s'embarquera pour l'Algérie, un pays en pleine colonisation et dans lequel il dénoncera la vie paysanne menée « à coup de sabre et d’eau bénite » sous l'action peu glorieuse de l'administration coloniale. Au cours de ses pérégrinations, Truquin exerça d'innombrables métiers : peigneur de laine, vagabond, domestique, puisatier, terrassier, tisseur, agriculteur. Sa constante pauvreté – mais pas seulement - l'oblige à entreprendre différents séjours migratoires tant en France, qu'en Argentine pour, enfin, se fixer définitivement au Paraguay, un pays où se déroulaient des expériences socialistes communautaires. C'est là-bas que l'on perdra sa trace.

Truquin.jpgDans son livre Mémoires d'un prolétaire Truquin décrit la vie miséreuse des canuts lyonnais où il travailla trois années, dès l'âge de 7 ans "de quatre heures du matin à dix heures du soir". Cette situation misérable sera son lot quotidien qui perdura toute sa vie durant.

Hormis cet ouvrage autobiographique ci-dessus mentionné, pratiquement rien nous est connu sur cet écrivain prolétarien. Remercions Michel Ragon (in Histoire de la littérature prolétarienne en langue française) pour les quelques bribes d'informations qu'il nous a fournies. Elles entr'ouvrent le voile sur cet auteur particulièrement touchant et à la plume alerte.

Signalons également le travail remarquable entrepris par l'Association pour la Promotion de la Littérature Ouvrière (APLO) en faveur de ce courant de littérature complètement délaissé.

Mémoires d'un prolétaire. Extraits

« L’Amérique du Nord suit les mêmes errements que l’Europe. En Angleterre, les manieurs d’argent ont accaparé successivement toutes les petites propriétés ; les cultivateurs qui vivaient paisiblement du produit de leurs champs et de leurs vaches, ont été refoulés dans les villes et réduits à la plus grande misère. Plus le machinisme se perfectionnera, plus il sera facile à quelques habiles de tenir les masses sous leur joug. Que les ouvriers de la ville et de la campagne ouvrent les yeux ainsi que les petits bourgeois et les petits propriétaires ! Leurs descendants seront fatalement acculés au prolétariat. Toutes les nations s’organisent industriellement ; tous les États cherchent à se suffire à eux-mêmes. […]
Il appartient aux hommes de cœur de prévenir la catastrophe, qui est inévitable. Si les hommes le voulaient, ils seraient tous heureux. Mes voyages m’ont appris qu’il n’y a peut-être pas un dixième de la surface de la terre qui soit cultivé, et encore la culture est-elle loin d’être arrivée à la perfection. C’est donc un crime social que quelqu’un puisse souffrir de la faim. […]

Il est urgent que tous ceux qui travaillent et souffrent des vices de l’organisation sociale ne comptent que sur eux-mêmes pour se tirer d’affaire et se créer un présent et un avenir meilleurs par la solidarité. Il importe donc que chacun d’entre eux apporte sa pierre à l’édifice commun, en publiant ses notes, ses cahiers, ses mémoires, en un mot tous les documents qui peuvent contribuer à détruire les iniquités. du vieux monde et à hâter l’avènement de la révolution sociale. »

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