En plus de deux mille ans de culture hypersexualisée et humiliante pour la gent féminine, peu nombreuses sont les femmes dont on condescend à accorder la postérité. Maria Deraismes, comme Olympe de Gouges et Louise Michel pour ne citer que ces deux grandes égéries, reste l'une de ces femmes qu'il serait légitime de mettre au Panthéon des bienfaiteurs et bienfaitrices de l'Humanité.
Comment les nier ? Ses origines bourgeoises sont bien là et jamais nous la verrons monter sur les barricades durant les grands chambardements de son époque : 1848 et 1871. Malgré tout, cela ne l'empêchera pas d'aider des membres de la Commune de Paris et, selon son expression, à leur "tendre la main". Dans "La franc-maçonnerie et l'émancipation des femmes", Eliane Brault, membre du Droit Humain puis fondatrice de la Grande Loge Mixte Universelle, la cite fort à propos(1) : "Les résultats des révolutions ne sont pas proportionnels aux sacrifices consentis et l'effort ne profite pas à ceux qui en sont les artisans. En politique, les crises violentes servent surtout ceux qui observent de l'extérieur et ne s'y mêlent qu'au dénouement". Propos troublant car, si l'on prend à la lettre ce point de vue, autant considérer que toute révolte populaire est vouée à l'échec ! Mais, malgré la sympathie que nous avons pour cette femme, constatons-en les limites : nous buttons sur un fatalisme caractéristique de son statut social.
Féministe, elle interviendra et se battra constamment pour que la femme devienne égale à l'homme. Maria Deraismes, participa à la création d'associations féministes. En 1869, déjà journaliste, elle fonde avec le libre penseur Léon Richer l'hebdomadaire Droit des femmes qui deviendra peu après L'Avenir des femmes.
Libre penseuse elle-même, elle présidera aux destinées de cette association dans l'ex-Seine-et-Oise. Avec Victor Poupin (l'un des fondateurs de la Ligue de l'Enseignement) ainsi que l'abolitionniste Victor Schoelcher, en 1881, elle va organiser le premier congrès anticlérical. Durant celui-ci, on parle déjà de la séparation des églises et de l'État, des problèmes liés à l'éducation, aux fêtes laïques, à l'organisation des services hospitalier et d'assistance, etc. Maria soumet au congrès une motion qu'il adoptera : "Le congrès émet le vœu que les hommes et surtout les libres penseurs, fassent de leurs femmes leurs compagnes dans leurs réunions, cercles, comices, travaillent à les faire reconnaître légalement comme leurs égales". La question mérite d'être posée : où en sommes-nous encore aujourd'hui ?
Franc-maçonne, le 14 janvier 1882 les frères de la Loge Les Libres Penseurs du Pecq (Yvelines) l'intègre comme une sœur à part entière. Première femme a entrer dans ce cercle encore très fermé. Comme par hasard, y adhère un certain frère : Léon Richer... C'est sans doute ce "plus" maçonnique qui la fait entrer dans la grande histoire de l'Humanité. Durant cette cérémonie, le vénérable de cette loge, le frère Hougar, prononça ses quelques mots : "En initiant une femme à nos mystères, nous voulons proclamer l’égalité des deux êtres humains qui concourent physiquement à la propagation de notre espèce... Nous sommes pénétrés de cette idée que l’état normal de la société ne peut s’améliorer effectivement sans le concours de la femme, première éducatrice de l’enfant et que détruire chez elle les préjugés, en les combattant par la lumière maçonnique, c’est préparer pacifiquement la véritable émancipation sociale". En réponse, la sœur Maria affirme que ses frères ont "rompu avec les vieilles traditions consacrées par l’ignorance. Vous avez eu le courage d’affronter les rigueurs de l’orthodoxie maçonnique... Vous êtes aujourd’hui considérés comme des hérétiques, parce que vous êtes des réformateurs : mais comme partout la nécessité des réformes s’impose, vous ne tarderez pas à triompher". Cent-vingt huit ans après ce coup de tonnerre dans un temple de la pensée philosophique, force est de constater que le triomphe espéré n'a pas été (ou très partiellement) au rendez-vous de la franc-maçonnerie contemporaine. Toutefois, cela ne l'empêchera pas, avec l'aide de quelques frères, de créer la première loge mixte. Et, onze ans après son initiation, en 1893 elle fonde l'association : la "Grande Loge Symbolique Écossaise Mixte de France", appellation qui, en 1901, se transformera en Ordre maçonnique mixte international "Le Droit Humain"(1).
Elle décédera dans sa soixante-sixième année après avoir bien œuvré pour le genre humain et la mixité en particulier. Au cœur de ses préoccupations nous retrouvons toujours une démarche en faveur de la liberté de penser, pour l'égalité entre tous les êtres humains et pour le développement de la fraternité universelle. C'est évident : son travail n'est nullement achevé. A chacun et à chacune de le poursuivre afin qu'un jour il puisse aboutir.
Maria Deraismes, c'est avant tout et à sa façon : une vie, un combat et un exemple comme nous voudrions qu'il en existe tant pour que le monde change.
1) Lorsque cette obédience prend - huit ans après sa création - la décision de changer de nom, deux loges s'en séparent et se constituent en une nouvelle entité qui gardera le nom de Grande Loge Symbolique Écossaise "maintenue et mixte". La sœur Louise Michel, pourtant amie de Maria Deraimes, sera initiée dans cette obédience "maintenue" en 1903.
Commentaires
190 ans
190 ans ! ça file... A la fois loin mais si proche...
Un ami, JPF, me signale que le Vénérable de la loge Les Libres Penseurs du Pecq est "Adolphe Houbron et non Hougar comme écrit dans le texte. ll avait donné son nom à une Loge du D :. H :.".
Nous donnerons - non rituellement - à l'auteur de cet article trois coups de maillet.
Effectivement, on ne dira jamais assez le rôle de pionnier de femmes telles que M ... D ... . Le 21ème siècle voit sortir enfin la femme occidentale de sa position d 'infériorité injuste. Cependant, la Pierre est brute et le combat continue. Pour cela ne pas oublier que l 'Union fait la force, et que toute révolution nécessite à la base des objectifs clairement définis.