Chapeau bas devant Poulaille, cet ouvrier autodidacte, qui aura été l'architecte fondateur du courant littéraire prolétarien.
Un homme d'une longévité exceptionnelle (1896-1980), un écrivain attachant, animé par sa passion des belles lettres. Il ouvrit toute grande la porte au courant de la littérature prolétarienne complètement occulté par la bourgeoisie triomphante de l'époque.
Cet homme atypique, baignant dans le flot libertaire du moment, se trouva mis en phase avec le travail extraordinaire accompli par Fernand Pelloutier, le premier créateur des bourses du travail, des lieux qui pratiquaient alors l'éducation ouvrière. L'un comme l'autre ne souhaitaient pas que le savoir et la culture – au sens large du terme - soient réservés uniquement à une élite. Rien d'étonnant à ce que Michel Ragon établisse ce constat : "toutes les littératures nationales ne sont pas aussi bourgeoises que la Française"*. Un tel propos en dit long sur le rôle exercé en France par sa classe dominante.
Si l'on doit à Henry Poulaille ce fait d'avoir créé un nouveau courant littéraire, il ne faut pas oublier pour autant qu'il existait avant lui de nombreux ouvrages issus, au sens propre du terme, d'écrivains prolétariens. Il n'est ici guère utile de les citer tous. Mais instantanément et à titre d'exemple, je pense aux très émouvantes Mémoires d'un Compagnon d'Agricol Perdiguier. Il n'empêche que ce genre reste, comme l'écrit Ragon, une "littérature méprisée, (…) étrangement condamnée, aussi bien par les systèmes capitalistes que socialistes"*. Il fallut donc tout le travail de cet homme pour mettre à jour et pour structurer ces écrivains issus du peuple.
Poulaille reste également à l'initiative de plusieurs revues (telle le Nouvel Age) ou collaborateurs de nombreux journaux : Le Peuple, Le Libertaire, etc., dans lesquels il favorisa toutes les expressions représentant cette littérature. En 1923, alors qu'il vient d'être engagé aux Éditions Grasset, Henry Poulaille publie (d'ailleurs auprès d'un autre éditeur : Georges Valois) un manifeste intitulé Le nouvel âge littéraire. Ce fut le véritable point de départ de sa conduite qu'il poursuivra toute sa vie, en ayant de cesse de valoriser ces écrivains-là.
Alors que les milieux socialiste et communiste se trouvaient en plein essor, ceux-ci furent pour lui l'occasion de faire pendant quelque temps un bout de chemin avec leur intelligentsia. Je pense en particulier à ses relations avec Henri Barbusse mais, bien sûr, elle ne fut pas la seule. Jamais il ne perdit de vue son objectif. Alors, laissant passer la déferlante stalinienne, contrairement à Barbusse il s'en éloigna définitivement.
Oui, ce combat ne fut pas inutile. Poulaille participa, à sa façon, à ouvrir la littérature au plus grand nombre ce qui, déjà pour l'époque, restait exceptionnelle. Finie l'appropriation bourgeoise. Le sillon qu'il traça ne peut aujourd'hui être ignoré. Bravo l'Ami !
* Citation prise dans l'introduction de Michel Ragon dans son remarquable (et indispensable) ouvrage : "Histoire de la littérature prolétarienne de langue française" (Albin Michel).
J'en profite pour saluer Michel qui, à l'occasion de la réédition du livre dH. Poulaille "Seul dans la vie à 14 ans" (Stock, 1980), m'invitait à participer à cette lourde tâche promotionnelle en faveur de cette littérature que les classes possédantes souhaiteraient faire disparaître.