Depuis ce jour de l'année 1809, quel parcours que celui de ce petit bouvier, né d'un garçon brasseur et d'une mère cuisinière...
Comment ne pas commencer ce quinzième jour d'une nouvelle année par celui que l'on considère comme le père et le principal théoricien de l'anarchisme ? En ce jour anniversaire, je vous propose d'appréhender l'homme sous son aspect le moins connu. Pour le reste, on trouvera assez facilement sur Internet ou à partir de plusieurs ouvrages, une grande partie de ses réflexions pour le moins décapantes.
C'est ainsi que j'ai le plaisir de vous soumettre cette vie étonnante, écrite il y a près de trente ans maintenant dans la revue "Itinéraire" (n°7, 1er trimestre 1990)...
"Révolutionnaire... et franc-maçon !
La pensée de Proudhon, riche par sa fécondité et par sa diversité,
l'est également par ses contradictions.
Comment un révolutionnaire peut-il devenir franc-maçon ?
Cet article tente d'éclairer
un aspect peu connu de la vie du théoricien anarchiste.
Sans doute parce qu'il fut l'initiateur de l'anarchisme, Pierre-Joseph Proudhon reste à bien des égards le plus remarquable de tous les grands théoriciens de la pensée révolutionnaire. Son œuvre ressemble à un gigantesque et fantastique magma en fusion duquel jaillit, si l'on s'y attarde, de nombreuses pistes de recherche que, pour notre part, nous ne nous lassons pas de découvrir.
Pourtant, comme tout exégète qui se respecte, il y a de quoi être déprimé... En effet, il ne semble plus guère exister d'aspects méconnus de la vie intellectuelle de notre Bisontin. Traqué par une armada de chercheurs universitaires de qualité, tout semble avoir été scruté, disséqué et analysé. Toutefois, et peut-être, subsiste-t-il encore une "niche"qui a été épargnée par nos perspicaces détectives ? On n'en parle jamais ou très rarement, comme si autour de cet aspect planait soit un intérêt accessoire ou mineur, soit une sorte de péché capital qu'il s'agirait d'exorciser en évitant d'en parler. Diantre, qu'est-ce qui prit à Proudhon d'aller frapper, ce 8 janvier 1847, à la porte d'un temple, celui de la franc-maçonnerie franc-comtoise : la Respectable Loge Sincérité, Parfaite Union et Constante Amitié à l'Orient de Besançon ? Comment lui, l'indomptable, celui qui, par son premier mémoire sur la Propriété, entendait s'attaquer et mettre à bas le système capitaliste, pouvait-il pénétrer dans cette enceinte où se côtoient gentiment : nobles, bourgeois et militaires, en bref, tout le gotha de cette société qu'il dénonçait par ailleurs ? Qu'allait-il donc faire dans cette loge ? Renouer symboliquement avec les générations disparues de la Grande Révolution ? S'acoquiner avec cette bourgeoisie montante qui composait encore les tableaux de loge pour mieux la convaincre ou, plus simplement, chercher le lieu où sa puissante intelligence pouvait s'exprimer ? La question mérite d'être posée et exige une réponse.
Réconcilier l'irréconciliable !
Malheureusement, et nous en sommes confus, il serait bien prétentieux de notre part d'apporter une réponse définitive sur cette décision de Proudhon d'entrer en franc-maçonnerie. D'une part, parce que celui-ci n'a jamais formulé d'explications précises quant à sa démarche, ce qui aurait eu l'avantage de nous éclairer. D'autre part, parce qu'il nous semble que ce choix s'apparente davantage à une démarche personnelle que l'homme n'a pas jugé utile d'expliciter. Cela peut justifier l'embarras et le silence des chercheurs sur ce point délicat. En tout cas, cela n'arrange guère notre propos. Mais, après tout, n'y a-t-il pas chez Proudhon comme chez chacun un jardin secret qu'il n'entendait pas dévoiler par peur d'être incompris ou, plus prosaïquement, parce qu'il ne souhaitait pas nécessairement le partager ?
Revenons à Besançon ce 8 janvier 1847. Proudhon a tout juste 38 ans et l'un de ses ouvrages les plus importants, Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère, vient de paraître. La sortie de ce livre fut discrète. Le Journal des Économistes, d'ailleurs, n'en rend compte qu'en novembre 1847. A propos de cet ouvrage, dans une lettre écrite à Guillaumin, datée du 7 novembre 1846, l'auteur affirme : "Si je pouvais faire battre tout le monde, j'aurais obtenu justement le résultat que je me suis proposé : la réconciliation universelle par la contradiction universelle". Déjà, avec son mémoire sur la Propriété, Pierre-Joseph nous a habitué aux formules assassines qui ne sont pas faites pour nous déplaire. Que l'on ne s'y trompe pas, derrière ces propos provocants se cache un humaniste au grand cœur. La réconciliation universelle par la contradiction universelle, les mots